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vendredi 24 juin 2016

"C'est gangréné, il va falloir amputer"

Je ne sais pas combien de gens réalisent ce que mes cheveux longs représentent pour moi.

Avril 2000 : j'ai bientôt 16 ans, les cheveux coupés courts, avec une raie sur le côté. Je me trouve près de l'escalier de cette maison à Chartres dans laquelle j'ai passé toute ma vie, et on me demande si j'ai déjà pensé à me faire pousser les cheveux, comme mon frère (de sept ans mon aîné) - vu que contrairement à lui qui les a ondulés, les miens sont raides et que ça pourrait rendre pas mal. Non, ça ne m'était jamais venu à l'esprit. À l'époque, je suis maladivement timide, je n'ai jamais eu de copine, peu d'amis, bref le paria de base qu'on trouve dans tant de classes. Je décide de tenter le coup.

Septembre 2000 : alors qu'encore un mois auparavant je pensais finir ma vie à Chartres, on déménage à Rennes en catastrophe pour des raisons sur lesquelles je ne m'étendrai pas. D'un lycée privé où j'avais réussi malgré tout à me faire quelques potes, j'emménage dans une ville inconnue, en 1ère S dans un lycée public où je dois reprendre péniblement à zéro ma construction de vie sociale. Avec en handicap ces cheveux même pas mi-longs, qui ne ressemblent à rien. Pas ma meilleure année, peu de potes, sentiments d'exclusion, vagues pensées de suicide jamais sérieuses. Je retourne voir une ou deux fois mes potes faits l'année d'avant à Chartres. La plupart sont étonnés de ma nouvelle coupe de cheveux, mais trouvent ça plutôt cool.

Année scolaire 2001-2002 : terminale S. Je commence à avoir les cheveux longs, ma vie sociale s'améliore et je prends confiance en moi. Mes cheveux m'apportent un bonus à mon charisme autrement inexistant. Je suis un peu "différent" - le mec qui parle pas beaucoup, qui a un look bizarre. Cette faculté d'être considéré "différent" me plaît, parce que de toute façon je ne suis pas capable de faire autrement pour signifier mon existence au monde. Ça me plaît à vrai dire tellement que je pousse le vice jusqu'à fumer un peu trop de joints et que je m'en vante : je viens régulièrement défoncé en cours. Mon année se passe mal, scolairement. Socialement, ça va. C'est au moment où je réalise que je fume principalement pour me montrer défoncé aux autres et me faire remarquer que je réalise à quel point ce que je fais est profondément débile. J'arrête quasi totalement de fumer des joints quand je suis tout seul, et je me mets à ne plus fumer que quand je suis avec d'autres gens.

Année scolaire 2002-2003 : re-terminale S, ayant redoublé à cause desdits joints. Celle-ci est moins n'importe quoi. Je suis plus stable et je me fais de vrais amis. À partir de ce moment, j'ai toujours pas de copine, mais je commence à me plaire physiquement. Oh, je suis toujours incapable de parler à une fille, mais mon complexe d'infériorité s'atténue. Mes cheveux longs sont beaux et rendent la plupart des filles jalouses.

Mars 2003 : je m'inscris sur Parano.be. Mes photos de moi et de mes cheveux ont du succès. J'ai toujours pas de copine, mais je sais que physiquement, au moins, je plais. Je bugue sur la fiche de Nancy, qui elle-même bugue sur la mienne, mais on ne le saura que 8 ans plus tard.

Été 2003 : en vacances, je me fais d'autres amis. Mes premiers vrais amis rencontrés hors du lycée. Je bugue sur une des filles en question.

Fin 2003, puis les années qui suivent : je fais la connaissance de Gwenn et d'Elluin sur Internet. Plus tard, en 2004, je rencontre Lilly, avec qui je me ...lie, puis Alisa, qui deviendra ma première copine pendant un temps trop court. C'est de cette époque que je me mets à utiliser le mot "muh" (quant à savoir à quel moment précis, aucune idée).

À cette époque, je subis mon premier psychotage à propos de mes cheveux : ma ligne de cheveux me semble avoir reculé sur les côtés, au-dessus des tempes, d'un coup en quelques mois. En fait, non, mais c'est la première fois que je me demande ce qui se passerait si je devenais chauve, et comment je le vivrais. Spoiler : mal.

Les années passent, je sors avec Lilly, puis avec d'autres personnes. Que des relations à distance, commencées par Internet avant des rencontres IRL. Toujours, toujours, mes cheveux semblent attirer le regard plus que le reste de ma personne. C'est comme ça que je le vis, du moins : mes cheveux sont un membre à part entière, aussi indispensables à ma survie que mes jambes ou, je vous vois venir, ma bite (voilà, c'est dit. Ça va mieux, ceux que ça démangeait ?). Ils ne définissent pas que ma coupe de cheveux : sans mes cheveux longs, je ne serais pas moi. Je ne serais plus le Muh.

2010, ma dermite débarque. J'en ai longuement parlé ici, des cinquante mille trucs que j'ai essayés en vain pour m'en débarrasser. Suffit de dire qu'en plus de me démanger, elle me fait des plaques rouges moches desquelles les cheveux chutent plus facilement. À cette époque, je commence à psychoter sur l'éventualité de perdre mes cheveux. Le fait de sentir le froid de la vitre de bus quand j'y pose l'arrière de mon crâne ne fait rien pour me rassurer, persuadé que je suis qu'à une époque ils étaient plus épais que ça et que je ne sentais pas le froid de la vitre quand je faisais ça.

2011, je sors avec Nancy. À un moment, on va dans un magasin qui a de grands miroirs au plafond. J'y jette un oeil et je m'arrête, pétrifié : c'est la peau de mon crâne qu'on voit, là, sous mes cheveux ?! Nancy me rassure en me disant que nan, ça ne se voit pas. Pendant deux ans j'emmerde tout le monde à demander s'ils trouvent pas que je me dégarnis, là, à l'arrière de mon crâne. Les gens trouvent que non. Ou peut-être un peu mais faut vraiment scruter pour s'en rendre compte.

Fin 2013, tout seul au boulot, sur une pulsion, je prends mon smartphone et je me photographie l'arrière du crâne. Et je constate l'étendue des dégâts.

Depuis, c'est une longue "chute" vers la calvitie. Pendant quelques mois je tente un médicament censé ralentir la chute des cheveux. Ça ralentit peut-être, mais ça les rend surtout super gras. J'arrête ce produit il y a un peu plus d'un an, tellement j'en ai marre : à quoi ça sert d'avoir un médicament pour les garder longs si c'est pour qu'ils soient dégueulasses ? On me dit de réduire leur longueur pour ralentir la chute. Je préfère passer en mode carpe diem : je les aurai le plus longs possible jusqu'à ce que ce soit vraiment moche, mais j'en profiterai à fond jusqu'au bout.

En juin 2014, je trouve un truc pour freiner ma dermite - de l'argile sur la tronche tous les soirs. C'est également ça qui me permet d'enfin me faire pousser la barbe sans que ça me démange. Ma barbe pousse à une vitesse folle, pendant que mes cheveux tombent à une vitesse folle. Ils deviennent vraiment moches. Je n'ose même plus les détacher. Faire en sorte qu'on ne voie pas la peau de l'arrière de mon crâne devient un défi de plus en plus dur, même attachés.

J'ai passé ces dernières années à scruter la calvitie chez les autres, et à réaliser à quel point c'est injuste. Le nombre de gens chauves à 32 ans est minuscule, mais j'en fais malheuresement partie. J'ai maudit les gens qui se plaignaient d'avoir des cheveux blancs. J'aurais tellement préféré les garder longs, mêmes blancs... J'ai maudit les filles qui regrettaient de s'être coupé les cheveux. Hey, toi, ça repoussera avec le temps. Pas moi. Je me rassure en me disant que j'ai des poils de rechange - ma barbe. On ne devient pas chauve de la barbe.

Depuis deux ans, j'ai trouvé la solution pour qu'on ne voie plus le trou que j'ai à l'arrière du crâne, mais je manque de courage pour passer à l'acte. Après tout, qu'est-ce qu'une calvitie ? Une zone dépourvue de cheveux, délimitée par, ben, des cheveux. Solution ? Tout raser. Plus de cheveux du tout, plus de calvitie. Ces cheveux, gangrenés par la calvitie, il me faut les amputer.

Oui mais... Hé, ça serait trop simple. Il me reste encore ma dermite. Quelque part sur mon crâne, j'ai des plaques rouges, je ne sais où. Il va falloir qu'elles prennent un peu l'air pour être atténuées. Je ne peux de toute façon pas tout raser d'un coup, je ne suis pas sûr de supporter le choc (ni Nancy, d'ailleurs).

Ça fait plusieurs mois que je n'en peux plus, que c'est moche quoi que je fasse et que j'attends de trouver le courage de tout couper. J'étais en vacances dans le sud, chez les parents de Nancy. On (enfin, surtout moi) avait décidé de rentrer aujourd'hui, jeudi (ouais je sais, techniquement on est vendredi, silence), pour avoir le vendredi de libre et ne pas passer directement de vacances => rentrer maison => boulot. Là-bas, Nancy m'a suggéré quelque chose que j'avais déjà considéré (puisqu'après cinq ans de relation, on n'est pas télépathes mais presque) : cesser de repousser ce moment fatidique et profiter que je suis encore en congés pour passer à l'acte.

Il y a une heure, j'ai lavé mes cheveux longs pour la dernière fois. Ça m'a fait l'effet du dernier repas du condamné. La dernière fois que je me fous ce shampoing dans toutes ces longueurs. La dernière fois que je masse, que je rince, que je sens ce paquet de cheveux humides et compacts buter sur le bas de mon dos et y dégouliner.

Il est quasi 1h du mat. À 11h30, j'ai rendez-vous chez le coiffeur pour qu'il me tonde les cheveux. Pas rasés, mais quelques centimètres. On verra les dégâts, puisqu'il n'y a qu'avec les cheveux courts que je saurai précisément à quel point je suis dégarni, et à quel point j'ai des plaques dues à la dermite. Et surtout, on verra si les cheveux courts, ça me va. De toute façon ce n'est pas comme si j'avais le choix...

Les gens ont eu du mal à comprendre ces derniers temps pourquoi je psychotais autant sur ma calvitie. Pourquoi ça me rendait aussi dingue. Hé les gars, dans ma tête, c'est toute ma vie sociale et amoureuse qui s'est construite grâce à mes cheveux... Je crois inconsciemment que si je les coupe, je vais revenir à mes 16 ans, à cette époque honnie et traumatisante où je me sentais une sous-merde.

Une amie qui m'est très, très chère m'a dit ceci : "peu importe ta tignasse, tu seras toujours le même Muh ;) ta personne ne changera pas, on t'aimera quoi qu'il en soit"

J'espère. J'espère aussi que moi, je m'aimerai toujours.

lundi 6 janvier 2014

De l'impermanence des choses

Ça va hein, je poste quatre fois par an, j'ai bien le droit de mettre des titres grandiloquents.

Quand j'étais petit puis ado, j'avais pas confiance en moi. J'avais pas beaucoup d'amis, et les filles étaient des créatures mythiques qui ne poseraient jamais l’œil sur moi, être laid et éteint. Quand j'avais 15 ou 16 ans, peu avant d'emménager à Rennes, on m'a dit "tiens, t'as les cheveux raides, ça t'irait probablement bien si tu te les laissais pousser, comme ton frère".

Dont acte. Ma fière chevelure est probablement ce qui m'a aidé à prendre confiance en moi, et ces dernières années, à aller jusqu'à me trouver beau. Oh, je ne serai jamais de ces gens qui font se pâmer les filles rien qu'en claquant des doigts. Je n'ai pas et n'aurai jamais cette espèce de charisme et d'assurance qui semblent indissociables de ce genre de personnage. Mais mes cheveux ont fait la jalousie de pas mal de gens et ont été ma grande fierté pendant plus de dix ans.

Je suis pas en train de vous dire que je vais les couper, non. C'est beaucoup plus déprimant que ça : je me dégarnis.

Il y a deux semaines et demi, au boulot, peu avant mes congés, y'avait personne dans le bureau, ça devait être le midi. Je me suis dit, en passant les mains sur mon crâne, que c'était quand même vraiment fin comme épaisseur, là, derrière - là où les moines ont leur tonsure. Alors j'ai pris mon smartphone et j'ai fait une photo dudit arrière de mon crâne. Et là, je crois que mon cœur s'est serré à peu près aussi douloureusement que lors d'une rupture.

Ça fait deux ans que je faisais chier tout le monde avec des "dis, t'as pas l'impression que je me dégarnis, là ?" auxquels on me répondait des "meuh non, n'importe quoi". J'avais la preuve sous les yeux que si, et pas qu'un peu. J'ai switché l'appareil photo de mon smartphone en mode caméra frontale, je me suis dirigé vers les toilettes et je me suis mis devant le miroir, en me servant de mon smartphone comme miroir secondaire - un peu comme chez un coiffeur. Et j'ai constaté l'étendue des dégâts. J'ai pas pleuré mais presque (ça, c'est venu quelques jours plus tard).

Je suis "légèrement" déprimé depuis. J'ai encore un faible espoir que ça ne soit que le contrecoup d'un gros coup nerveux de ces derniers mois et que ça n'empirera pas beaucoup plus : je perds peu de cheveux quand je me brosse, et surtout, mes grand-pères étaient loin d'être chauves. Si mon père est un peu dégarni, il n'a pas le crâne lisse et brillant comme certains. Mon frère a encore toute sa chevelure alors qu'il a sept ans de plus que moi. Alors y'a pas de raison, hein ? HEIN ?

N'empêche, ça m'obnubile, et c'est peu de le dire. Moi qui avais fini par prendre confiance en moi au bout de temps d'années, j'ai peur d'être à nouveau relégué au rang du "t'es moche" de mon enfance. J'pense pas qu'il y ait grand monde à réaliser le nombre de complexes qui sont en train de refaire surface.

Nancy me dit que ça ne se voit peu puisque je suis grand et que peu de gens ont l'occasion de voir l'arrière de mon crâne. Ça me soulage pas, loin de là : suffit que je sois assis pour qu'on le voie, l'arrière de mon crâne, et qu'on le voie ou pas, c'est là, c'est un fait, et plus personne pour me dire "meuh non, n'importe quoi" quand je demande si je suis dégarni (ce que je ne demande même plus).

Dans moins d'une heure je me fais couper les pointes - et comme ça fait un an et demi que je l'ai pas fait, il va y avoir des morts.

vendredi 23 août 2013

Hé Rhalph, ça fait deux mois que t'as pas posté !

Enfin c'est ce que Nancy m'a dit il n'y a pas longtemps.

Bon alors, y'a deux nuits j'ai fait une insomnie. La nuit suivante je me suis réveillé à 2h du mat après un rêve, et j'ai mis trois heures à me rendormir. Cette nuit je me suis réveillé à 6h, ce qui est déjà du progrès !
M'enfin, cette fois je me suis levé parce que j'avais pas le temps de chercher à me rendormir et je doutais d'y arriver. Du coup je blogue pour m'occuper.

Hier, Nancy et moi on a fêté nos deux ans ensemble. Par une raclette. Il faisait quasiment 29°C dans l'appart... Hum. À la base on voulait aller au Fuji, *le* restaurant japonais de Rennes, mais il était fermé parce qu'à Rennes en août, tout est fermé.

Hier également, j'ai vu un psy pour la première fois depuis que j'étais ado. En cause, mes angoisses pour tout et n'importe quoi, ma peur du futur, et mon incapacité à éteindre mon cerveau. C'était sans doute pas une bonne idée de faire ça le jour de nos deux ans avec Nancy, mais j'avais pris rendez-vous un mois et demi plus tôt et y'avait peu de créneaux de libres à cause des vacances. C'est quand j'avais raccroché après avoir pris rendez-vous que j'avais tilté "ah merde. Le 22 août. Hum."

Techniquement c'est un psychiatre - je l'ai choisi lui parce que 1/ on me l'a conseillé, 2/ il est presque complètement remboursé (sur les 56€, y'en a 14 qui ne sont pas remboursés par la Sécu/mutuelle), 3/ il est compatible avec mes horaires de boulot (j'ai pu avoir RDV à 19h30), et 4/ il est en centre ville donc plutôt accessible.

C'était bizarre. Beaucoup de blancs où il attendait que je parle et où je savais pas quoi dire. En tout cas il a déjà commencé à remuer la merde, façon "à votre âge, on est censé avoir des projets, avoir un peu derrière soi et beaucoup devant..." OUI J'AI PAS DE PROJETS ET OUI ÇA ME TERRORISE MERCI.

Comment on fait des projets ? J'arrive pas à mettre d'argent de côté, j'aurai sans doute pas de gosse entre autres pour cette raison, acheter un appart ou une maison bon hum voilà... Je sais pas quoi faire de ma vie au final, c'est toujours le même problème, entre mon boulot qui me plaît moyennement, mon manque de sous et mon manque de temps.
Notez que c'est après avoir soulevé ces problèmes il y a quelques mois à une amie très chère (cherchez pas, j'ai jamais parlé d'elle ici) qu'elle m'a dit qu'il y a des projets qui ne demandent pas d'argent : s'impliquer dans une asso par exemple. Là c'est le manque de temps qui va poser problème. Elle m'avait aussi suggéré de me bouger les fesses pour faire mon site photo. J'ai pas réussi à prendre le temps de le faire.

En fait, j'ai réalisé un truc : ça m'arrive régulièrement d'avoir des gros coups de boost. Des moments où je suis super motivé pour ...faire quelque chose. Me mettre aux rêves lucides. Faire du sport le matin. Faire de l'éso. Faire mon site. Guérir mon problème d'amblyopie. Me fabriquer des flûtes. Arrêter de déprimer.
Ces sursauts de motivation ne durent jamais plus de trois semaines (j'ai compté). Du coup tout projet qui nécessite plus de trois semaines d'implication finit soigneusement par être relégué dans la case "tais-toi, je veux plus y penser" au bout de ces trois semaines. Ce qui me fait culpabiliser, bien évidemment, et ce qui n'arrange pas mon moral, bien entendu.

Il va donc falloir que je me trouve des projets qui m'empêchent de me désister au bout de trois semaines. Je sais pas du tout comment faire.

Des fois je me dis que si j'avais pas Nancy et des amis aussi formidables, je serais en dépression depuis longtemps.

lundi 27 mai 2013

The space between

Dans le post précédent, j'ai parlé du bouquin Fixing my Gaze que j'avais commandé. Je n'ai pas beaucoup joué à Tetris, du coup : j'ai dévoré le bouquin à la place, et je suis en train de le relire.

Je crois que j'aurais préféré ne jamais entendre parler de cette étude sur l'amblyopie. Ne jamais commander ce bouquin. Et rester dans l'ignorance de ce que je loupe en étant amblyope.

Avant ce bouquin, je n'avais qu'une vague idée de ce qu'est la vision stéréoscopique, la vision 3D, la vraie. Celle à laquelle je n'ai pas accès. Maintenant, j'en ai une idée toujours aussi vague, sauf que je sais que les rares chanceux qui l'ont acquise au cours de leur vie en ont été complètement bouleversés.

The space between. L'espace entre [les choses].

Avant ce bouquin, je n'aurais jamais imaginé qu'on pouvait visualiser le vide en tant que volume. L'auteur raconte que c'est une des choses qui l'émerveillent encore, plusieurs années après. Quand elle se balade en forêt, elle ne regarde pas les arbres, elle regarde, fascinée, l'espace entre les branches des arbres.

Le livre est tellement bien écrit, elle transmet tellement ses émotions que maintenant je désespère de me rendre compte à quel point toute une partie de l'univers m'est inaccessible.

Par exemple, elle cite une botaniste qui a acquis la vision stéréoscopique tardivement :

I thought that I could see plants clearly... I thought I knew the forest... but strolling through a humble plantation of pines, I had an epiphany. I was amongst the trees, not looking out at them... They surrounded me in a way that was different than I'd previously experienced. The crenulations of bark and appliqué of moss were deeper, the edges clearer, the colors brighter... Most unusual: the space between the trees was apparent. It was as if I had stepped inside a painting I had spent my life observing. I was awed and moved to tears. I had never experienced a forest in this way. The depth of space and emotion was overwhelming.

Tentative de traduction pour mes lecteurs non anglophones :

Je pensais que je pouvais voir clairement les plantes... Je pensais que je connaissais la forêt... Mais en flânant dans une humble plantation de pins, j'ai eu une épiphanie. J'étais parmi les arbres, et non pas en train de les regarder. Ils m'entouraient d'une façon qui était différente de ce que j'avais vécu jusqu'ici. Les crénulations de l'écorce et l'appliqué de la mousse étaient plus profonds, les bords plus nets, les couleurs plus vives... Plus étrange encore : l'espace entre les arbres était apparent. C'est comme si j'étais entrée dans un tableau que j'avais passé ma vie à observer. J'étais ébahie et j'en avais les larmes aux yeux. Je n'avais jamais expérimenté une forêt de cette manière. J'étais écrasée par la profondeur de l'espace et par mon émotion.

Ce passage en particulier m'a beaucoup touché, moi qui aime tant la forêt. Me dire que tout ce que j'ai vécu manque de profondeur, me dire que je n'ai accès qu'à une vision tronquée de la beauté du monde...

Des fois ça me fait rire jaune de me dire que je passe déjà assez de temps à scotcher sur tout et n'importe quoi, et que si en plus je voyais en vraie 3D ça serait pire... Et d'autres fois je me dis que si je vivais une telle épiphanie, je trouverais peut-être enfin dans quel secteur me reconvertir. J'aurais peut-être envie de faire de la photo plus qu'un simple passe-temps.

L'auteur a un strabisme dont elle a été opérée quand elle était toute petite. Trois fois, puisqu'une simple opération suffit rarement pour réussir à replacer les yeux vraiment parfaitement. Elle a attendu 50 ans et une vision therapy, une thérapie visuelle auprès d'une optométriste comportementale, pour acquérir la vision stéréoscopique. Et encore, ce n'était pas le but à la base : à la base, elle est allée la voir car sa vision commençait à se dégrader, elle avait du mal à lire de loin... C'est en apprenant à son cerveau à utiliser les deux yeux conjointement qu'elle a eu un jour la surprise de voir le volant de sa voiture lui sauter aux yeux. Littéralement. Il se détachait du reste, il flottait dans l'espace. J'imagine que c'est un concept normal pour vous qui avez une vision normale. Pas pour elle. Pas pour moi. 

Si j'ai une amblyopie, ce n'est pas par hasard : j'ai développé un strabisme quand j'étais petit, les images d'un objet ne tombaient pas à des endroits équivalents de la rétine de chacun de mes deux yeux, donc le cerveau n'arrivait pas à fusionner les deux images. Je voyais double (diplopie). Chez certains gosses, le strabisme s'amplifie pour qu'un des deux yeux regarde dans le nez ou pour faire tomber une des deux images dans le point aveugle, la zone de la rétine qui n'a pas de photorécepteurs. Ça règle le problème d'images conflictuelles, puisque l'objet fixé n'est plus qu'à un seul exemplaire. Moi, mon cerveau a préféré ignorer mon œil droit. C'est une autre manière de régler le problème.

Il n'y a pas d'optométriste comportemental en France, à ma connaissance. Ou du moins ce n'est pas répandu. Aux USA, avec leur système de santé privé, je crois qu'à raison d'une séance hebdomadaire pendant plusieurs mois, ça va chiffrer dans plusieurs milliers de dollars. Je ne pourrais pas me payer ça. Jamais. Les ophtalmos considèrent que ce n'est pas possible de guérir d'une amblyopie, et que c'est même déconseillé d'essayer à cause des risques de vision double. Effectivement, si je récupère la vision de mon œil droit sans guérir de mon strabisme, c'est ce qui arrivera, et je regretterai amèrement le temps où mon seul problème de vision était une amblyopie.

40 % de chances d'acquérir une vision stéréoscopique après une opération du strabisme. 70 % après une thérapie visuelle. Combien de chances j'ai, moi, sans optométriste sous la main, et avec une amblyopie à traiter en plus, tout seul ? Est-ce que ça vaut vraiment le risque que je voie double ? Au pire, si je récupère mon œil droit et que j'ai toujours mon strabisme, je peux toujours me faire opérer...

Je ne peux de toute façon plus faire marche arrière, j'ai besoin d'essayer, après tout ce que j'ai lu.

Je reparlerai du Tetris dans un prochain post, notamment du mec de Canard PC qui est à fond dedans et qui progresse.

jeudi 13 décembre 2012

Jaloux

Je suis un gros jaloux et ça me rend aigri.

J'ai toujours été jaloux de la facilité qu'ont la plupart des gens à parler. Juste, articuler et parler assez fort pour qu'on n'ait pas besoin de leur demander de répéter sans arrêt ce qu'ils viennent de dire. Quand à avoir de la conversation, c'est quelque chose qui me paraît inconcevable.
Alors les gens disent que c'est cool, que je suis quelqu'un de calme, de "reposant", ils se moquent gentiment du Muh qui parle pas beaucoup et pas fort... Mais moi ça me pèse. J'aimerais bien réussir à, je sais pas, avoir des trucs à dire, des fois ? Y'a plein de sujets qui me tiennent à cœur et par écrit je suis relativement prolixe, mais alors dès qu'il s'agit de parler, je sais pas, blocage. Les rares fois où par miracle j'ai un truc à dire, les gens ont tellement pas l'habitude qu'ils remarquent même pas que le Muh tout calme il est en train d'ouvrir la bouche. 

Fin bon. Ça encore ça va. Y'a le problème de thunes qui revient régulièrement et qui m'emmerde. Je suis jaloux de la relative liberté financière de la plupart des gens que je connais, alors que j'ai en théorie le plus gros salaire. Mais voilà. Je suis le seul de ma boîte à avoir un salaire pour deux, les autres c'est un salaire pour un ou deux salaires pour deux. Du coup je me retrouve limite à sucer la bite de mon patron pour ne pas subir le grand courroux de Sa Seigneurie, qui me ferait sauter la prime pour la 3ème fois sur 4 fins d'année que je passe ici. Et je me retiens d'envoyer chier les gens qui disent que tiens, si Nancy elle avait un travail ça serait plus simple non ? Mon poing dans ta gueule oui ? C'est jamais aussi simple, et je conseille très fortement aux gens de même pas tenter de soulever le sujet avec moi. Mais genre, vraiment.

En attendant, David ben il s'est acheté un appart, et moi je suis obligé d'attendre mon demi treizième mois pour m'acheter un putain de frigo, et ça aussi ça me pèse. 
Et ça me pèse d'avoir une relation aussi aigrie avec l'argent, ce truc dont je conchie jusqu'à l'existence. Je reste un hippie, à la base, ou au moins un gros gauchiste, et ce système de merde m'insupporte, et je m'insupporte d'y attacher malgré tout autant d'importance.

But wait, there's more !

Je jalouse les gens qui ont une sexualité normale. J'en ai marre que ce soit pas mon cas. J'en ai marre d'entendre les blagues de merde sur les sadomaso/fouet/cuir moustache/hihihu. C'est déjà assez le bordel pour les gays, qui sont pourtant relativement acceptés en France (malgré les relents d'homophobie qui remontent ces derniers temps à cause de l'actualité)... Pas mal de gens acceptent l'idée qu'ils sont comme tout le monde et qu'ils font ce qu'ils veulent, que c'est leurs oignons. Mais alors les gens qui pratiquent le SM ? Oulalah eux faut les interner. 
Y'a tous ces connards qui s'insurgent au moindre commentaire homophobe mais qui partent vomir dès que leur vient à l'esprit l'un des innombrables clichés qu'a l'imaginaire collectif sur le SM. Notez que "imaginaire collectif" c'est souvent un synonyme de "gros tas de préjugés de merde", mais bon.

Putain les gens, le SM et l'homosexualité c'est PAREIL : moi non plus j'ai pas choisi d'être comme ça. Je fais ça avec des personnes majeures et consentantes. Je suis pas un monstre, niveau tendresse je pourrais en remontrer à l'immense majorité des gens. Arrêtez de juger la sexualité des autres !
Je suis comme ça depuis que je suis tout petit. Je l'ai pas choisi, mais j'ai choisi d'assumer plutôt que de refouler. Et je peux même pas assumer complètement tellement c'est dangereux socialement. Faire son coming-out concernant son homosexualité au boulot ou en public ? C'est envisageable et il y en a plein qui le font. La même chose pour le SM ? Même pas en rêve.
Du coup des fois j'aimerais bien avoir juste une sexualité normale, ça serait tellement juste plus simple.
(Et je vous parle pas de mon côté bisexuel.)

Mais bon. La grosse raison qui m'a fait faire ce post, c'est encore et toujours la même, c'est cette histoire de spiritualité. Je jalouse les gens qui se sont trouvés spirituellement, ou qui au moins se cherchent. En ce moment j'ai tellement une crise de foi (sans rapport avec le chocolat) que je regarde avec une envie maladive Gwenn et Isatis partir sur leur sentier de païennes. Oh ça la route est toute tracée pour elles, ces veinardes. Moi je suis devant un barrage sans déviation indiquée et je me demande bien où je dois aller.
J'veux dire, j'ai relu ce post d'Isatis tout à l'heure, et j'avais les larmes aux yeux tellement j'aimerais être à sa place.
J'en ai eu des coups de pieds au cul pourtant, ne serait-ce que celui qui m'a enfin permis de quitter Magali, mais non, ça retombe toujours après mes innombrables fails. Méditation, pendule, tous ces trucs que j'essaie et qui ratent lamentablement, et qui nourrissent aux stéroïdes mon côté rationnel qui me dit que tout ça c'est bullshit.
Ça ne fera que le trouzième post où je parle de ça, d'ailleurs, ce qui vous donne une idée d'à quel point je vis mal le fait de ne pas réussir à me trouver spirituellement...

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