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"C'est gangréné, il va falloir amputer"

Je ne sais pas combien de gens réalisent ce que mes cheveux longs représentent pour moi.

Avril 2000 : j'ai bientôt 16 ans, les cheveux coupés courts, avec une raie sur le côté. Je me trouve près de l'escalier de cette maison à Chartres dans laquelle j'ai passé toute ma vie, et on me demande si j'ai déjà pensé à me faire pousser les cheveux, comme mon frère (de sept ans mon aîné) - vu que contrairement à lui qui les a ondulés, les miens sont raides et que ça pourrait rendre pas mal. Non, ça ne m'était jamais venu à l'esprit. À l'époque, je suis maladivement timide, je n'ai jamais eu de copine, peu d'amis, bref le paria de base qu'on trouve dans tant de classes. Je décide de tenter le coup.

Septembre 2000 : alors qu'encore un mois auparavant je pensais finir ma vie à Chartres, on déménage à Rennes en catastrophe pour des raisons sur lesquelles je ne m'étendrai pas. D'un lycée privé où j'avais réussi malgré tout à me faire quelques potes, j'emménage dans une ville inconnue, en 1ère S dans un lycée public où je dois reprendre péniblement à zéro ma construction de vie sociale. Avec en handicap ces cheveux même pas mi-longs, qui ne ressemblent à rien. Pas ma meilleure année, peu de potes, sentiments d'exclusion, vagues pensées de suicide jamais sérieuses. Je retourne voir une ou deux fois mes potes faits l'année d'avant à Chartres. La plupart sont étonnés de ma nouvelle coupe de cheveux, mais trouvent ça plutôt cool.

Année scolaire 2001-2002 : terminale S. Je commence à avoir les cheveux longs, ma vie sociale s'améliore et je prends confiance en moi. Mes cheveux m'apportent un bonus à mon charisme autrement inexistant. Je suis un peu "différent" - le mec qui parle pas beaucoup, qui a un look bizarre. Cette faculté d'être considéré "différent" me plaît, parce que de toute façon je ne suis pas capable de faire autrement pour signifier mon existence au monde. Ça me plaît à vrai dire tellement que je pousse le vice jusqu'à fumer un peu trop de joints et que je m'en vante : je viens régulièrement défoncé en cours. Mon année se passe mal, scolairement. Socialement, ça va. C'est au moment où je réalise que je fume principalement pour me montrer défoncé aux autres et me faire remarquer que je réalise à quel point ce que je fais est profondément débile. J'arrête quasi totalement de fumer des joints quand je suis tout seul, et je me mets à ne plus fumer que quand je suis avec d'autres gens.

Année scolaire 2002-2003 : re-terminale S, ayant redoublé à cause desdits joints. Celle-ci est moins n'importe quoi. Je suis plus stable et je me fais de vrais amis. À partir de ce moment, j'ai toujours pas de copine, mais je commence à me plaire physiquement. Oh, je suis toujours incapable de parler à une fille, mais mon complexe d'infériorité s'atténue. Mes cheveux longs sont beaux et rendent la plupart des filles jalouses.

Mars 2003 : je m'inscris sur Parano.be. Mes photos de moi et de mes cheveux ont du succès. J'ai toujours pas de copine, mais je sais que physiquement, au moins, je plais. Je bugue sur la fiche de Nancy, qui elle-même bugue sur la mienne, mais on ne le saura que 8 ans plus tard.

Été 2003 : en vacances, je me fais d'autres amis. Mes premiers vrais amis rencontrés hors du lycée. Je bugue sur une des filles en question.

Fin 2003, puis les années qui suivent : je fais la connaissance de Gwenn et d'Elluin sur Internet. Plus tard, en 2004, je rencontre Lilly, avec qui je me ...lie, puis Alisa, qui deviendra ma première copine pendant un temps trop court. C'est de cette époque que je me mets à utiliser le mot "muh" (quant à savoir à quel moment précis, aucune idée).

À cette époque, je subis mon premier psychotage à propos de mes cheveux : ma ligne de cheveux me semble avoir reculé sur les côtés, au-dessus des tempes, d'un coup en quelques mois. En fait, non, mais c'est la première fois que je me demande ce qui se passerait si je devenais chauve, et comment je le vivrais. Spoiler : mal.

Les années passent, je sors avec Lilly, puis avec d'autres personnes. Que des relations à distance, commencées par Internet avant des rencontres IRL. Toujours, toujours, mes cheveux semblent attirer le regard plus que le reste de ma personne. C'est comme ça que je le vis, du moins : mes cheveux sont un membre à part entière, aussi indispensables à ma survie que mes jambes ou, je vous vois venir, ma bite (voilà, c'est dit. Ça va mieux, ceux que ça démangeait ?). Ils ne définissent pas que ma coupe de cheveux : sans mes cheveux longs, je ne serais pas moi. Je ne serais plus le Muh.

2010, ma dermite débarque. J'en ai longuement parlé ici, des cinquante mille trucs que j'ai essayés en vain pour m'en débarrasser. Suffit de dire qu'en plus de me démanger, elle me fait des plaques rouges moches desquelles les cheveux chutent plus facilement. À cette époque, je commence à psychoter sur l'éventualité de perdre mes cheveux. Le fait de sentir le froid de la vitre de bus quand j'y pose l'arrière de mon crâne ne fait rien pour me rassurer, persuadé que je suis qu'à une époque ils étaient plus épais que ça et que je ne sentais pas le froid de la vitre quand je faisais ça.

2011, je sors avec Nancy. À un moment, on va dans un magasin qui a de grands miroirs au plafond. J'y jette un oeil et je m'arrête, pétrifié : c'est la peau de mon crâne qu'on voit, là, sous mes cheveux ?! Nancy me rassure en me disant que nan, ça ne se voit pas. Pendant deux ans j'emmerde tout le monde à demander s'ils trouvent pas que je me dégarnis, là, à l'arrière de mon crâne. Les gens trouvent que non. Ou peut-être un peu mais faut vraiment scruter pour s'en rendre compte.

Fin 2013, tout seul au boulot, sur une pulsion, je prends mon smartphone et je me photographie l'arrière du crâne. Et je constate l'étendue des dégâts.

Depuis, c'est une longue "chute" vers la calvitie. Pendant quelques mois je tente un médicament censé ralentir la chute des cheveux. Ça ralentit peut-être, mais ça les rend surtout super gras. J'arrête ce produit il y a un peu plus d'un an, tellement j'en ai marre : à quoi ça sert d'avoir un médicament pour les garder longs si c'est pour qu'ils soient dégueulasses ? On me dit de réduire leur longueur pour ralentir la chute. Je préfère passer en mode carpe diem : je les aurai le plus longs possible jusqu'à ce que ce soit vraiment moche, mais j'en profiterai à fond jusqu'au bout.

En juin 2014, je trouve un truc pour freiner ma dermite - de l'argile sur la tronche tous les soirs. C'est également ça qui me permet d'enfin me faire pousser la barbe sans que ça me démange. Ma barbe pousse à une vitesse folle, pendant que mes cheveux tombent à une vitesse folle. Ils deviennent vraiment moches. Je n'ose même plus les détacher. Faire en sorte qu'on ne voie pas la peau de l'arrière de mon crâne devient un défi de plus en plus dur, même attachés.

J'ai passé ces dernières années à scruter la calvitie chez les autres, et à réaliser à quel point c'est injuste. Le nombre de gens chauves à 32 ans est minuscule, mais j'en fais malheuresement partie. J'ai maudit les gens qui se plaignaient d'avoir des cheveux blancs. J'aurais tellement préféré les garder longs, mêmes blancs... J'ai maudit les filles qui regrettaient de s'être coupé les cheveux. Hey, toi, ça repoussera avec le temps. Pas moi. Je me rassure en me disant que j'ai des poils de rechange - ma barbe. On ne devient pas chauve de la barbe.

Depuis deux ans, j'ai trouvé la solution pour qu'on ne voie plus le trou que j'ai à l'arrière du crâne, mais je manque de courage pour passer à l'acte. Après tout, qu'est-ce qu'une calvitie ? Une zone dépourvue de cheveux, délimitée par, ben, des cheveux. Solution ? Tout raser. Plus de cheveux du tout, plus de calvitie. Ces cheveux, gangrenés par la calvitie, il me faut les amputer.

Oui mais... Hé, ça serait trop simple. Il me reste encore ma dermite. Quelque part sur mon crâne, j'ai des plaques rouges, je ne sais où. Il va falloir qu'elles prennent un peu l'air pour être atténuées. Je ne peux de toute façon pas tout raser d'un coup, je ne suis pas sûr de supporter le choc (ni Nancy, d'ailleurs).

Ça fait plusieurs mois que je n'en peux plus, que c'est moche quoi que je fasse et que j'attends de trouver le courage de tout couper. J'étais en vacances dans le sud, chez les parents de Nancy. On (enfin, surtout moi) avait décidé de rentrer aujourd'hui, jeudi (ouais je sais, techniquement on est vendredi, silence), pour avoir le vendredi de libre et ne pas passer directement de vacances => rentrer maison => boulot. Là-bas, Nancy m'a suggéré quelque chose que j'avais déjà considéré (puisqu'après cinq ans de relation, on n'est pas télépathes mais presque) : cesser de repousser ce moment fatidique et profiter que je suis encore en congés pour passer à l'acte.

Il y a une heure, j'ai lavé mes cheveux longs pour la dernière fois. Ça m'a fait l'effet du dernier repas du condamné. La dernière fois que je me fous ce shampoing dans toutes ces longueurs. La dernière fois que je masse, que je rince, que je sens ce paquet de cheveux humides et compacts buter sur le bas de mon dos et y dégouliner.

Il est quasi 1h du mat. À 11h30, j'ai rendez-vous chez le coiffeur pour qu'il me tonde les cheveux. Pas rasés, mais quelques centimètres. On verra les dégâts, puisqu'il n'y a qu'avec les cheveux courts que je saurai précisément à quel point je suis dégarni, et à quel point j'ai des plaques dues à la dermite. Et surtout, on verra si les cheveux courts, ça me va. De toute façon ce n'est pas comme si j'avais le choix...

Les gens ont eu du mal à comprendre ces derniers temps pourquoi je psychotais autant sur ma calvitie. Pourquoi ça me rendait aussi dingue. Hé les gars, dans ma tête, c'est toute ma vie sociale et amoureuse qui s'est construite grâce à mes cheveux... Je crois inconsciemment que si je les coupe, je vais revenir à mes 16 ans, à cette époque honnie et traumatisante où je me sentais une sous-merde.

Une amie qui m'est très, très chère m'a dit ceci : "peu importe ta tignasse, tu seras toujours le même Muh ;) ta personne ne changera pas, on t'aimera quoi qu'il en soit"

J'espère. J'espère aussi que moi, je m'aimerai toujours.

Commentaires

1. Le vendredi 24 juin 2016, 10:48 par Pulsahr

Ca me rappelle la première fois que je me suis coupé les cheveux. J'ai craint que ça me change, ou me corrompt, ou me diminue. Mais en fait non. T'as toujours les mêmes forces et les mêmes angoisses.
Mais ça donne l'impression de pouvoir les gérer différemment. J'ai eu un gain d'assurance dans certains domaines (professionnel par exemple), une perte d'assurance dans un autre (séduction), à tort selon beaucoup de personnes.

A te lire, tu as toi aussi mis beaucoup de foi en tes cheveux pour ton potentiel de séduction. Le gros avantage, c'est que tu as déjà quelqu'un, donc t'as moins de pression là dessus (j'ai pas de doute sur le fait que tu lui plairas les cheveux courts). Il te reste à réaliser que tu sera sexy avec les cheveux courts aussi. Mais ça aura plus d'impact quand des personnes de sexe féminin te le diront ;)